Si vraisemblablement, les yeux sont les miroirs de l’âme, notre corps représenté de dos peut-il narrer notre histoire ? La photographe Américaine Kacy Johnson, étudiante à l’Université Duke, en Caroline du Nord, s’est lancé dans un projet de photos sobrement intitulé « female », qui met en scène des femmes nues, de dos. Une initiative qui a du sens.
Comme son nom l’indique, cette série de clichés met en scène des femmes de toutes les ethnies, de tous les âges, de toutes les formes, qu’elles soient cisgenres ou transgenres. « Qu’elles se considèrent comme femme était ma seule condition », déclare la photographe.
Kacy Johnson a beaucoup voyagé pour réaliser cette œuvre inédite. Des États-Unis jusqu’aux quatre coins du Brésil, la photographe est partie à la rencontre de femmes qui ont chacune une vie à raconter à travers des images qui sont d’un réalisme poignant.
Assises nues de dos avec une toile de fond et un éclairage neutre, Kacy Johnson met en évidence le caractère unique de chaque femme représentée. Sous chaque photo, les modèles écrivent elles-mêmes les légendes, une façon de mettre des mots et une histoire sous ces distinctions.
Pourquoi représenter des femmes inconnues de dos ? Kacy Johnson veut mettre en lumière la réalité d’un corps dépourvu d’artifices, loin des normes imposées par une société qui revendique l’importance d’arborer un corps parfait. Une façon de fonctionner qui laisse peu de place à l’acceptation de soi et de ses atouts.
Ces corps représentés de dos doivent représenter une certaine idée de l’authenticité, de réalité, mais c’est aussi une manière de se dévoiler comme on ne l’a jamais fait. Ces femmes sans visage marquent leur identité en dévoilant ce qui est le plus infiniment intime chez elles : une partie qu’elles ne peuvent voir par elles-mêmes au quotidien, le dos. Grains de beauté, marques de bronzage et de soutien-gorge, cicatrices, tatouages, rien n’est épargné sous l’objectif de Kacy Johnson. Aucune parcelle du corps ne peut laisser place au doute, chaque partie est authentique, bien réelle.
Kacy Johnson immortalise avec brio les plus belles blessures, les bizarreries et les particularités physiques de ces femmes, toutes différentes, qui ne sont plus représentées comme des objets désirables, comme c’est le cas au quotidien, des affiches publicitaires aux couvertures des magazines. Et le résultat est beau, tout simplement.
Cida : « Mes racines noires vont au-delà de mes cheveux bouclés, de ma peau foncée, de mes traits saillants. Mes racines prennent vie dans le rythme des tambours, dans la danse, dans ces combats qui nous ont libérés. Mon miroir reflète mon histoire ».
Laura : « Il est intéressant de se regarder sous un autre angle, à travers les yeux de quelqu’un d’autre. Nos yeux sont si habitués à déceler les imperfections de notre corps et fatigués à force de regarder ces photos « parfaites » de femmes « parfaites » et utopiques.
Car ce n’est pas ce que nous sommes. Et nous ne devrions pas avoir envie d’être parfaites, car nos différences sont infiniment plus belles, plus précieuses que ce stéréotype de la grande blonde mince que l’on nous sert quotidiennement. Oui, nous sommes toutes belles, que l’on soit blanches, noires, jaunes, vertes, rouges, bleues, maigres, potelées, en forme de poire, de banane ou de pommes, les cheveux raides, indisciplinés, frisés, courts, longs ou bien colorés. Ce sont nos différences qui racontent nos histoires, et chaque histoire possède sa propre beauté ».
Luana : « La couleur de peau brésilienne est pleine de nuances. Une femme métisse ne sait souvent pas qui elle est. Est-elle blanche ? Est-elle noire ? Je suis toute cela et rien de cela en même temps. Le racisme frappe la femme métisse quand sa couleur noire est utilisée pour qu’elle se sente inférieure. Pour être en mesure d’assumer sa couleur de peau, il faut prendre conscience qu’il n’y a pas de raison d’avoir honte de ses racines qui ont toujours été opprimées, piétinées, oubliées. La couleur de peau brésilienne a été mêlée à la douleur, et c’est cette douleur qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Je suis tout cela et rien de cela en même temps. »
Daiane : « Tu n’as pas de corps, pas de patrie, pas de famille. Tu ne te plies pas au joug des tyrans. Tu n’as pas de prix dans le monde des humains. Même le temps ne te ronge pas. Tu es l’essence des années. Ce qui vient et ce qui était… ».
Natalie : « D’une certaine manière, je me sens davantage nue et vulnérable sur cette photo, où je figure pourtant de dos, où l’on ne voit pas mon visage, chose plutôt inattendue. De face, je peux me contrôler. Je sais comment bouger mon corps, je sais quelle attitude et quelles expressions adopter afin de cacher à mon aise ce que je ne veux pas révéler de moi. Si une situation au quotidien me touche, je peux utiliser mes gestes et mon visage comme des masques. J’ai le sentiment que ce corps, de dos, révèle tout. Je n’étais pas très sûre de moi pendant le shooting ; je pensais à mes imperfections. Et je remarque maintenant ce manque de confiance dans mes mouvements, ma tête et ma posture, tellement plus révélateurs et honnêtes. Sans cette photo, je n’y aurais jamais prêté attention. Merci pour cette perspective. Elle est si réaliste ».
Leticia : « Il est rare de s’arrêter afin de regarder de dos chaque objet, chaque animal, chaque être humain. Leurs détails, leurs mouvements sont si étranges et beaux de dos, et ces femmes sont si belles avec leurs tailles, leurs formes et leurs tailles différentes. Cette partie du corps expose le plus de peau, marquant considérablement le grain et la couleur de peau. »
Angel : « Ces angles de moi que je ne peux pas voir… Quelle douleur et quelles épreuves invisibles recouvrent ce corps, à travers ce dos et cette colonne vertébrale. Jusqu’où pouvons-nous aller sans que cela ne se perçoive de l’extérieur ? Vous voyez cette partie du corps que je ne peux pas voir, certes, moi, je le connais de l’intérieur, par expérience, chose que nous ne verrez jamais. »
Nanci : « Ce que la peau peu dire ou signifier est une expérience très sensuelle, sensorielle. La peau ne peut pas mentir, la peau ne révèle que des vérités ».
Dorothy : « Quand je regarde attentivement ces photos de moi de dos, je en réalité remarque plusieurs choses : quelques marques de bronzage, les contours de mes épaules, la texture douce et souple de ma peau, la ligne asymétrique de ma coupe de cheveux, que j’ai changée depuis. Je vois aussi et surtout l’énorme tatouage d’une chouette qui jette un regard effronté sur le monde.
C’est la seule partie de mon corps que ne peux pas regarder en face. Il me faut une photo ou un miroir pour voir ce dessin que j’ai voulu que l’on inscrive de façon permanente sur mon corps.
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Un jour, quelqu’un m’a dit que mes tatouages étaient des armures métaphoriques qui avaient pour but de rappeler à l’autre mon histoire et mon identité. C’est sans doute vrai, mais ce tatouage dévoile également l’histoire de la façon dont je me perçois également. Cette chouette (il s’agit d’une chevêche des terriers N.D.L.R.) est tout à fait unique. Elle a pour particularité d’être active pendant la journée, contrairement aux autres espèces de chouettes, qui elles vivent la nuit. Les chevêches des terriers creusent des nids souterrains, ce qui est plutôt unique venant d’un animal qui peut voler ! Mais cette espèce peut également prendre son envol à tout moment. Je suppose que je me vois comme ce petit oiseau plus agile et plus complexe qu’il n’y parait. Il est majestueux à sa façon, et je l’ai toujours vu comme une protection. Le dos était l’endroit parfait pour le tatouage. Pour qu’une personne puisse le voir entièrement, il faut que j’instaure avec elle un rapport de confiance.
Ce projet photo m’a poussé dans mes derniers retranchements d’une manière impensable. Si les yeux sont les reflets de l’âme, peut-être que le dos est une manière de lire les histoires que nous portons en nous. »
Elis : « Regarder son propre dos, au premier abord, c’est ressentir l’inconnu. C’est comme regarder dans un miroir et y voir le reflet d’une autre personne. Et petit à petit on se reconnaît, et on y voit les transformations du temps ».
Carolina : « Ma peau représente mon héritage, mon histoire, mon amour-propre. Ma couleur, mon expérience, je suis fière de le porter tous les jours. Comme je vieillis, mon histoire va sans doute changer, mais mes tatouages resteront, autant que mes marques. Les femmes sont confrontées à de nombreux défis qui leur font remettre en question leur beauté et leur valeur au cours de leurs vies. Mais aujourd’hui, je vous dis, nous sommes belles. La vraie beauté est notre âme, et s’aimer nous-même est notre pouvoir. »
Source: demotivateur.fr