Un jeu morbide sur les réseaux sociaux, le « Blue Whale Challenge », aurait causé le suicide de cinq jeunes. Les parents sont désemparés et le gouvernement enquête. Reportage.
Désemparé. Lounis Latbi, le papa de la jeune Fairouz, 18 ans, qui s’est donné la mort par pendaison dans sa chambre, ne comprend toujours pas ce qui a bien pu pousser sa fille à commettre l’irréparable en cette belle journée ensoleillée du mercredi 6 décembre 2017. « Elle ne présentait aucun signe de détresse ou de déprime », affirme le papa visiblement encore sous le choc, décrivant une lycéenne plutôt assidue qui rêvait de décrocher son Bac Lettres et Langues pour devenir hôtesse de l’air ou interprète.
« Elle voulait avoir son Bac pour émigrer en Angleterre ou rejoindre son frère installé en France », explique avec encore beaucoup de tristesse dans la voix le papa entouré de tous ses enfants.
Son frère retrouve son corps pendu dans sa chambre
Cette funeste journée s’annonçait pourtant des plus ordinaires. C’est la saison des olives dans ce coin tranquille de la Kabylie et Lounis Latbi, paysan de son état, s’adonnait à la cueillette des fruits noirs et gorgés d’huile dans le champ qui jouxte la maison familiale. Dans la courette de la modeste maison accrochée à un flanc de colline boisée, la maman nettoyait les olives déjà ramassées.
Fairouz, elle, finissait de laver la vaisselle avant de prendre un bain de soleil. Comme tous les établissements scolaires de la région, son lycée était en grève des enseignants depuis plus d’une semaine déjà. Fairouz passait ses journées à faire ses exercices ou à regarder la télé.
« En ce début d’après-midi, ma femme est descendue au champ me donner un coup de main et Fairouz est restée seule à la maison. Lorsque son petit frère, qui fait une formation paramédicale dans la ville mitoyenne de Sidi Aïch [à 50 km à l’Est de Béjaïa], est revenu, il l’a trouvée pendue dans sa chambre », raconte le père.
Surmontant le choc de la macabre découverte, le frère cadet tente de ranimer sa sœur en lui prodiguant les premiers secours, mais la vie avait déjà quitté le corps frêle de l’adolescente.
La spirale meurtrière est telle que le ministre de la Justice a ordonné une enquête
Depuis sa mort, un animal étrange, dont personne n’avait entendu parler, est sur toutes les langues en Algérie : la « Baleine bleue ». D’origine russe, le « Blue Whale Challenge » est un jeu morbide en vogue sur les réseaux sociaux qui consiste à répondre à une série de 50 défis, tel que de se scarifier les bras, de se réveiller la nuit pour regarder des vidéos effrayantes ou encore de se livrer à des rituels de suicide.
L’ultime défi consiste à mettre fin à ses jours en se jetant du haut d’un immeuble ou en se pendant haut et court.
La Baleine Bleue aurait fait cinq autres victimes
Depuis une dizaine de jours, une psychose s’est emparée du pays au sujet de ce jeu qui aurait déjà fait cinq victimes. La psychose est telle que le ministre de la Justice a ordonné une enquête sur ce phénomène morbide.
« La justice s’acquitte de sa mission dans la lutte contre la cybercriminalité et l’Organe national de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication a ordonné en coordination avec les parquets compétents l’ouverture d’une enquête », a indiqué le ministre lors d’un entretien accordé à la télévision algérienne. Dans la foulée, le gouvernement a ordonné le blocage du « Blue Whale ».
La mort de Fairouz a-t-elle un lien quelconque avec la « baleine bleue » ? Rien ne permet de l’attester à ce stade. Une enquête a été confiée à la gendarmerie de Sidi Aïch, qui a saisi le téléphone portable de la défunte pour en percer les secrets.
Billal, 16 ans, victime à son tour
À quelques encablures de la maison endeuillée des Latbi, sur les hauteurs de la ville de Sidi Aïch, c’est la même consternation et la même incompréhension qui règnent au domicile de la famille Berkani. Ce jeudi 7 décembre, Billal, 16 ans, lycéen en première année secondaire dans le même lycée que Fairouz, s’est donné la mort par pendaison dans le couloir de la maison familiale.
Personne n’aurait pu imaginer que Billal allait se suicider
Personne ne comprend son geste, encore moins son grand-père qui avait passé toute la matinée de ce jour funeste avec lui. « Nous sommes allés en ville faire le marché ensemble en cette matinée de jeudi. Il m’aidait à l’achat et au transport des fruits et légumes comme à son habitude. L’après midi, il a refusé de participer à la cueillette des olives et il est resté à la maison », confie-t-il à Jeune Afrique.
Commerçant de profession, son père, Khelaf, 40 ans, ne trouve aucune explication logique au suicide son fils. « Personne n’aurait pu imaginer que Billal allait se suicider. Certes, il était accro au téléphone portable mais il était également très sociable et aimait faire des blagues », dit-il.
Les réseaux sociaux épluchés par les parents
Ses frères et cousins affirment pourtant que Billal avait plusieurs profils Facebook et personne ne savait exactement ce qu’il partageait, ni avec qui. « Mon fils s’est suicidé, mais rien ne prouve que son suicide soit lié à ce jeu de la Baleine Bleue dont on entend parler pour la première fois », poursuit son père.
C’est moins le jeu incriminé qui doit interpeller que l’état psychologique dans lequel se trouve les victimes
Comme pour le cas de Fairouz, les gendarmes ont confisqué le téléphone portable de Billal et ont ouvert une enquête pour déterminer les circonstances exactes de sa mort.
La presse algérienne évoque cinq cas de suicides d’adolescents qui seraient liés au jeu de la Baleine Bleue, alimentant ainsi la psychose des parents qui, tout à coup, se mettent à vérifier les activités de leurs enfants sur les réseaux sociaux.
Le ministre de la Justice a précisé que, pour l’instant, aucun lien n’avait encore été établi entre le jeu incriminé et les décès des adolescents enregistrés. Toutefois les fournisseurs d’accès à Internet ont été instruits de « retirer tout ce qui est lié à ce jeu et qui n’est pas autorisé par la loi ». En attendant, l’enquête suit son cours.
De son côté, dans une contribution publiée par le quotidien Liberté ce lundi 11 décembre, le docteur en psychiatrie, Mahmoud Boudarène, affirme que « dans tous les cas de figure, c’est moins le jeu incriminé qui doit interpeller que l’état psychologique dans lequel se trouve les victimes ». Un constat qui fait écho au cri de détresse du père de Faïrouz qui soutient que sa fille a été fragilisée par les grèves cycliques qui secouent le secteur de l’éducation depuis la rentrée.